Succession de Macky SALL : Blanchiment politique et fonctionnariat présidentiel*

Article : Succession de Macky SALL : Blanchiment politique et fonctionnariat présidentiel*
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Succession de Macky SALL : Blanchiment politique et fonctionnariat présidentiel*

CREDIT ISTOCK Palais de la République du Sénégal

Macky SALL a fait connaître le candidat de sa coalition politique pour les prochaines élections présidentielles de février 2024. Le suspense n’aurait pas dû nécessiter toutes ces années d’attente pour faire connaître son potentiel successeur, d’autant plus que c’est Amadou BA qui était le plus pressenti au niveau de l’opinion publique, même si d’autres personnalités de la coalition croyaient fermement en leurs chances.

Les sénégalais n’ont pas ainsi eu droit à beaucoup de surprise comme ce fut le cas par exemple pour la désignation du candidat pour le poste de Président de l’Assemblée Nationale. A cette occasion, ce fut la surprise générale car la personne désignée était largement inconnue de l’opinion publique et ne faisait pas partie des leaders en vue, pressentis au niveau de leur coalition. Cela n’a pas d’ailleurs manqué de créer des frustrations et entraîner la démission d’un membre influent. Macky SALL avait aussi créé la surprise quand il a annoncé sa décision de renoncer à solliciter un troisième mandat

Toujours est il que les limites démocratiques ainsi que les réseaux et luttes d’influence au niveau du pouvoir font que les processus de désignation sont toujours très opaques et sont le plus souvent basés sur des considérations autres que la représentativité populaire ou la capacité de mobilisation à la base ; parmi les critères mis en avant, il y a ceux d’ordre familial et de niveau de dévouement.

Pour la succession de Macky, c’est surtout le critère de dévouement qui a surtout été mis en avant dans la mesure où les autres critères ne semblaient pas très opérationnels, en raison notamment d’une gestion verticale de la coalition et de l’absence d’une culture démocratique qui aurait pu permettre l’émergence d’un candidat plus légitime et plus représentatif. Le candidat qui aurait pu émerger à la suite d’un processus démocratique aurait pu être tenter de mener des stratégies de rupture qui auraient pu avoir des répercussions graves sur la gestion et les responsabilités du régime de Macky SALL.

Macky SALL désigne un candidat pour sa succession

Macky SALL et sa coalition ont aussi rapidement compris que la mise en avant de critères d’ordre familial ou fondés essentiellement sur le dévouement sans prendre en compte un minimum de compétence professionnelle ou d’envergure politique et technocratique, non seulement, sera difficile à faire entériner au niveau de la coalition, mais poserait aussi des problèmes pour la mobilisation de l’électorat, avec des chances très réduites pour remporter les élections présidentielles, même avec le concours de l’appareil et des moyens de l’Etat, et avec les manœuvres frauduleuses inévitables sur le processus électoral.

Certes, le régime en place a pu, par des procédés autoritaires et d’instrumentalisation de la justice, mettre en prison le principal opposant, du reste, très populaire et l’écarter pour le moment des prochaines élections présidentielles. Actuellement, il ne semble pas y’avoir d’autre leader de l’opposition suffisamment populaire pour pouvoir mobiliser l’électorat et le remporter face au candidat du régime ; cette hypothèse ne saurait cependant prospérer que s’il y a un candidat du régime présentant un minimum de crédibilité à la fois politique et professionnelle aussi bien au niveau de la coalition qu’au niveau de l’électorat. Cela pourrait ainsi expliquer le choix de Amadou BA par rapport aux autres candidats de la coalition de Macky SALL qui s’étaient manifestés.

Les autres candidats se distinguaient essentiellement par leur dévouement et leur proximité avec Macky SALL et n’avaient pas d’envergure politique et technocratique significative. C’est pourquoi leur éventuelle désignation allait posait de sérieux problèmes au niveau de la coalition, et plus graves, ils ne seraient pas en mesure de mobiliser l’électorat au niveau national.

Amadou BA un technocrate sans envergure politique

Amadou BA est de la tradition des technocrates qui ont une très bonne connaissance de l’Administration. Il a eu à occuper dans le régime de Macky SALL des postes ministériels stratégiques : ministre des Finances, Ministre des Affaires Etrangères, Premier Ministre. Il est plus un technocrate qu’un politicien. Il n’a pas pu remporter les élections locales au niveau de sa base dans la banlieue de Dakar. Il ne faisait pas partie jusqu’à récemment des ténors politiques au niveau de la coalition présidentielle ; Il a été, en quelque sorte, imposé au niveau de sa base par le Président Macky SALL.

Amadou BA ne fait pas aussi partie des faucons de la présidence, qui sont dans l’entourage proche du Président et qui sont partisans de la ligne dure, notamment l’emprisonnement des leaders influents de l’opposition comme Karim WADE, Khalifa SALL et tout récemment Ousmane SONKO. Ce sont ces faucons, avec à leur tête le Président Macky SALL qui sont à la base de toutes les politiques répressives, de violations des droits de l’homme et de restriction des libertés démocratiques, ainsi que des emprisonnements massifs ces dernières années, d’opposants politiques, d’acteurs médiatiques et de la société civile, opposés au régime .

Amadou BA, a toujours eu une certaine réserve sur ces pratiques qu’il ne semble pas tellement cautionner, même s’il tente parfois de les justifier de façon très modérée. Cela pourrait ainsi constituer un des indices de différentiation de démarche politique par rapport à Macky SALL s’il venait à être élu. A priori, il semble plus modéré par rapport aux violations des droits de l’homme et aux restrictions des libertés démocratiques, ainsi qu’aux répressions d’opposants politiques. Dans tous les cas, un futur Président de la république n’est bien connu qu’à l’œuvre. Les exemples dans ce domaine font foison, à commencer par Macky SALL.

En Afrique plus généralement, à chaque fois qu’un nouveau Président est parrainé voire imposé par le Président sortant, il y a par la suite des surprises et souvent des revirements. Les cas à cet effet du Cameroun et plus récemment de la Mauritanie peuvent être cités en exemple. Des exceptions comme celle du Niger peuvent aussi être notées.

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Le parcours de Amadou BA peut être comparé dans une certaine mesure à celui de Abdou DIOUF, même si SENGHOR n’est pas Macky SALL. Il est réputé être un brillant technocrate qui a été parachuté dans le milieu politique. Il peut ainsi constituer une certaine garantie pour le respect des Institutions et la continuité de l’Etat républicain. Il pourrait également faire plus en matière de respect des libertés démocratiques, même si en matière de bonne gouvernance, il y a eu des scandales, notamment quand il était ministre des finances et actuellement qu’il est Premier Ministre.

Son manque d’envergure politique et d’absence de base électorale font cependant qu’il pourrait avoir des difficultés à gérer les relations avec les acteurs socio politiques et religieux, ainsi qu’à mobiliser les partis de la coalition et les militants à la base. L’expérience montre ainsi que les technocrates, n’ayant pas  suffisamment d’envergure politique, peuvent faire des avancées en ce qui concerne le respect de l’état de droit , le bon fonctionnement des institutions, la consolidation des acquis démocratiques. Ils ont cependant le plus souvent des difficultés pour assurer une gestion inclusive dans le cadre d’une approche populaire permettant de mobiliser les populations à la base en vue de les impliquer dans la conception et la mise en œuvre des programmes de développement socio économique.

Les limites de la crédibilité d’un régime

Les anciennes pratiques de mauvaise gouvernance pourraient ainsi continuer de prévaloir, favorisant ainsi le clientélisme, la corruption, le népotisme et le maintien d’élites politiques, sans réelle légitimité populaire et incapables de mobiliser les populations à la base.

Cette situation pourrait ainsi entraîner un accroissement du niveau de pauvreté, aggravant ainsi les tensions socio politiques ; ce qui ne va pas favoriser les conditions propices à une croissance du secteur productif et un développement socioéconomique inclusif.

Il serait difficile voire quasi impossible pour la coalition présidentielle de remporter dans la transparence les prochaines élections présidentielles, compte tenu notamment du niveau de discrédit du régime actuel ainsi que des fortes aspirations au changement de la part des populations ; l’évolution des différents scrutins passés a montré que l’opposition a fait des avancées très significatives et pourrait même être majoritaire dans le pays. Les résultats électoraux de la coalition présidentielle n’ont cessé de décroître de façon considérable ces dernières années, malgré les manœuvres et autres manipulations qui contribuent au manque de transparence dans le processus électoral.

Dans tous les cas, compte tenu du niveau de discrédit dont font l’objet le régime actuel et la plupart des institutions, et de la profonde crise d’autorité qui sévit actuellement dans la plupart des secteurs stratégiques du service public, il serait difficile d’envisager qu’un candidat de la coalition présidentielle puisse remporter les élections dans le cadre d’un scrutin libre, transparent et démocratique ;

Le Sénégal n’a jamais connu auparavant un tel niveau de répressions et des violations flagrantes des droits élémentaires des citoyens avec des arrestations arbitraires massives d’opposants politiques, d’acteurs des médias et de la société civile, de nombreuses victimes lors des manifestations socio politiques et cela dans la quasi indifférence générale de de ce qu’il est convenu d’appeler les PTF, même si certains médias occidentaux, dont le seul tort a été de faire une couverture objective de la situation socio politique, ont fait l’objet d’attaques et de dénonciations de la part du régime. c’est dans ce contexte que l’activiste Français, avocat de l’opposant SONKO, Juan BRANCO, a saisi la CPI. Kadhafi a eu tout le temps de faire ses numéros.

Si malgré tout, compte tenu surtout des potentielles manœuvres frauduleuses, Amadou BA parvient à remporter les prochaines élections, il pourrait assurer une certaine immunité au Président Macky SALL ; cependant, compte tenu du fait qu’il devrait rendre compte aux populations et engager directement sa responsabilité, il n’y a pas de raison qu’il accepte d’être un Président par procuration.

*Julien B BA
Analyste Politique
Marseille
Julienbba693hotmail.com

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