Manque d’expérience, volontarisme : les nouveaux dirigeants du Sénégal doivent se montrer à la hauteur

Article : Manque d’expérience, volontarisme : les nouveaux dirigeants du Sénégal doivent se montrer à la hauteur
Crédit: Iwaria

Manque d’expérience, volontarisme : les nouveaux dirigeants du Sénégal doivent se montrer à la hauteur

Les nouveaux dirigeants portent les espoirs des jeunes et des populations sénégalaises. Ils ont été élus sur la base des fortes attentes en matière de bonne gouvernance et de transparence dans la gestion des ressources publiques et aussi de la consolidation des acquis démocratiques. Il ne saurait y avoir de chèque en blanc, ni d’indulgence.

Les différents régimes qui se sont succédés depuis l’indépendance ont été caractérisés, entre autres, par une gestion patrimonialiste et clientéliste des ressources publiques et, à des degrés divers, par des violations flagrantes des droits de l’homme, des répressions et arrestations arbitraires d’opposants politiques.

Des élus et dirigeants incapables de mobiliser les populations à la base

Si dans la plupart des cas, la légitimité peut être accordée à de nouveaux dirigeants élus, le problème qui se pose le plus souvent est celui de la représentativité et de la capacité à mobiliser les populations dans la conception et la mise en œuvre de politiques publiques de développement socio-économique viables et efficaces. 

Il en résulte le plus souvent que les populations ne s’approprient pas ces politiques et ne se sentent pas impliquées dans leur mise en œuvre. Il se pose ainsi un véritable problème d’efficacité de la dépense publique de telle sorte que les populations dans leur majorité n’ont pas accès aux services sociaux de base dans différents domaines comme la santé, l’éducation, l’accès à l’eau potable, à l’électricité.

Depuis les indépendances, des financements considérables ont été mobilisés aussi bien dans le cadre des lois de finances que dans le cadre de la coopération au développement. Le constat est que les investissements socio-économiques réalisés dans le cadre des politiques publiques de développement n’ont pas toujours produit les effets escomptés. 

Dans la plupart des cas, il y a eu une mauvaise gestion des financements, caractérisée par des pratiques de clientélisme politique, de corruption et autres malversations financières. Les autorités dirigeantes, le plus souvent en mal de représentativité et incapables de mobiliser les populations à la base, utilisaient une bonne partie des financements pour avoir une clientèle politique leur permettant de conserver leur base locale. 

C’est pourquoi la plupart des organismes publics ont été mal gérés et n’ont pas pu atteindre les objectifs et missions qui leur sont assignés. Les services de l’Etat chargés d’assurer les services sociaux de base comme l’éducation, la santé, la sécurité, ont toujours manqué de performance, au détriment de la satisfaction des besoins fondamentaux des populations. 

Inefficacité des politiques publiques

Les politiques publiques mises en œuvre n’étaient pas viables compte tenu non seulement des malversations financières et autres pratiques de clientélisme, mais aussi de l’inadéquation de ces politiques par rapport aux besoins fondamentaux des populations.

Monument de la renaissance africaine, Dakar. Crédit : Iwaria

Pendant des décennies depuis les indépendances, les politiques publiques étaient inefficaces de telle sorte que le niveau de la pauvreté augmentait considérablement, alors que les élites politiques s’enrichissaient par un accaparement des ressources publiques.

L’augmentation du niveau de pauvreté et l’absence de perspectives viables, en particulier chez les jeunes et les femmes, a entraîné le développement de nombreux fléaux sociaux comme la délinquance, le fondamentalisme, l’émigration clandestine.

Ces situations ont entraîné des tensions sociopolitiques récurrentes qui ont fait, le plus souvent, l’objet de répressions violentes et d’emprisonnements arbitraires. 

Cela n’a pas cependant dissuadé les opposants politiques, les populations et les jeunes en particulier, malgré l’intensité des répressions, de continuer à faire face au régime en place, pour défendre les acquis démocratiques et dénoncer les violations récurrentes des droits de l’homme et la mauvaise gestion des ressources publiques.

Fortes aspirations au changement politique

Les demandes et les aspirations populaires et sociales pour le changement étaient devenues fortes et surtout urgentes. Elles ont ainsi été déterminantes dans les alternances qui sont survenues avec Abdoulaye Wade et Macky Sall. Les populations avaient clairement exprimé leur volonté de rupture et de changement par rapport aux pratiques du passé. 

Si avec Abdoulaye Wade il y a eu des avancées encore plus significatives, aussi bien en ce qui concerne la consolidation des acquis démocratiques, l’amélioration sensible des conditions de vie des populations et la réalisation d’infrastructures déterminantes pour la croissance du secteur productif, dont notamment l’autoroute à péage, il convient cependant de faire remarquer qu’il y a eu beaucoup de critiques pour ce qui est de la bonne gouvernance et de l’utilisation des ressources publiques.

Ainsi avec Abdoulaye Wade, les critiques ont surtout porté sur la gestion patrimonialiste et familiale de l’Etat et des pratiques de clientélisme et de népotisme qui ont eu des impacts très négatifs sur les ressources publiques. 

La deuxième alternance avec Macky Sall devrait permettre non seulement de renforcer la bonne gouvernance, mais aussi de permettre une gestion concertée du pouvoir, notamment avec les conclusions de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) et une consolidation de l’Etat de droit.

Régressions sous le régime de Macky Sall

Le régime de Macky Sall a constitué une régression très importante par rapport aux avancées obtenues sous le régime de WADE ainsi que ceux précédents. Macky Sall est pratiquement revenu sur l’essentiel des engagements qu’il avait pris avant son élection. 

Il a ainsi renié ses principaux engagements de réduction de son mandat en instrumentalisant le Conseil Constitutionnel du temps de Sakho qui n’a pas osé prendre ses responsabilités, comme c’est le cas actuellement, de gestion concertée du pouvoir avec la mise en œuvre des conclusions de la CNRI, de consolidation des acquis démocratiques, de promouvoir la bonne gouvernance. 

Le président sénégalais Macky Sall. Crédit : Eric Piermont / AFP

Macky Sall a en effet, durant ses mandats, fait preuve de ruse politique et de populisme primaire en créant de nouveaux organismes pour la promotion de la bonne gouvernance, mais en réalité c’était pour mieux les instrumentaliser à des fins politiques. C’est le cas notamment d’organismes comme l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) ou la Cellule nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF) qui ont été instrumentalisés pour traquer des opposants politiques. 

Macky Sall a passé ses mandats à mettre en œuvre des manœuvres politiciennes pour chercher à se maintenir au pouvoir par tous les moyens y compris les répressions de manifestants et autres violations de droits de l’homme, et par une mauvaise gouvernance caractérisée par une gestion clientéliste et l’utilisation des ressources des organismes publics à des fins politiques.

Il avait même exhorté les dirigeants des organismes publics à utiliser les ressources publiques pour maintenir leur base locale. Aucun dirigeant politique sous l’ère de Macky Sall n’a été inquiété par la justice ou par les organismes de promotion de la bonne gouvernance, de lutte contre la corruption et le blanchiment.

Son bilan en ce qui concerne les droits de l’homme a été également très négatif avec notamment les nombreuses pertes en vies humaines occasionnées lors des répressions massives de manifestants, ainsi que des arrestations arbitraires, des restrictions des libertés d’expression et d’accès aux réseaux sociaux. 

C’est avec Macky Sall que les droits de l’homme ont fait l’objet de plus de violations, ce qui lui a valu d’ailleurs, avec de nombreux autres dirigeants de son régime, une plainte auprès de la CPI, pour crimes contre l’humanité.

Malgré les répressions et les pertes en vies humaines, les populations et les jeunes en particulier ont continué de se battre face au régime de Macky SALL, qui a été contraint par la pression populaire, non seulement de renoncer à un troisième mandat et d’organiser un scrutin transparent malgré ses tentatives vaines de frauder les élections, de manipuler le Conseil Constitutionnel, de bloquer le processus électoral et de faire reporter les élections. 

Les populations et les acteurs socio politiques en général se sont mobilisés et ont été vigilants pour contraindre Macky Sall à organiser un scrutin transparent et surtout pour assurer la défaite de son candidat au premier tour. Macky Sall ne manquera pas de répondre de ses actes dans le futur.

Gestion concertée du pouvoir

Les nouveaux dirigeants sauront tirer les leçons et conséquences des sacrifices faits par les populations sénégalaises et des jeunes en particulier durant toutes ces années, ainsi que de leurs fortes attentes au changement pour une consolidation des acquis démocratiques et une gestion transparente des ressources publiques. 

Crédit : Pixabay

Il n’est pas attendu d’eux des miracles. Ils doivent faire la bonne interprétation de leur victoire. Même s’ils se sont détachés très largement par rapport aux autres leaders politiques de l’opposition, ils doivent comprendre que c’est une volonté de changement profond qui s’est exprimée. 

Il s’agissait de sécuriser le vote pour un changement sans contestation possible de la part du régime en place. Le peuple sénégalais a fait preuve d’une très grande maturité démocratique, car ils ont pu élire un sénégalais qui ne disposait pas de moyens importants alors que même dans les grandes démocraties, il est pratiquement impossible pour un candidat ne disposant pas de moyens conséquents ou n’ayant pas des soutiens financiers importants, de pouvoir émerger parmi les favoris. C’est la spécificité démocratique sénégalaise et l’une des principales leçons à tirer de ce scrutin.

Les leaders Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye ont porté et incarné ce changement. Ils sont tout à fait méritants; 

Cependant les autres leaders de l’opposition n’ont pas non plus démérité. Il s’agit d’une victoire de toute l’opposition pour le changement, portée par le parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF). 

Il faut une large implication des principaux leaders de l’opposition politique dans le cadre d’une gestion concertée du pouvoir. l’ampleur des défis à relever ainsi que leur urgence font qu’il faut nécessairement une stabilité socio-politique permettant de mettre en œuvre des politiques efficaces impliquant les populations à la base.

Le volontarisme et le manque d’expérience dans la gestion d’un Etat ne pourront pas permettre de régler avec efficacité les grands défis de l’heure. Un Président et un Premier Ministre inexpérimentés ou encore des ministres qui n’ont pas eu à occuper dans le passé des responsabilités au sein de l’appareil d’Etat, peuvent être sources de tâtonnements et d’inefficacité. 

Depuis qu’ils ont été installés aucune mesure importante n’a été encore prise en faveur des populations. Cela montre leur manque de préparation et leur inexpérience dans la gestion de l’Etat, alors qu’il était question de dénoncer les accords de pêche, miniers et autres mesures urgentes pour soutenir le pouvoir d’achat des populations.

Quand le Premier Ministre parle de faute ou d’erreur dans le choix des hommes et des femmes, cela pose un problème réel d’expérience, car les risques d’erreur doivent être minimisés et cela nécessite le choix de responsables expérimentés. De plus c’est le Président qui prend les décisions et qui sera responsable devant les sénégalais.

La gestion individuelle ou partisane du pouvoir ne saurait prospérer, de même que des slogans populistes de souveraineté ou autre. Il s’agit tout simplement de se mettre rapidement au travail en faisant appel à l’expertise locale et de la diaspora. Si le peuple sénégalais a eu le courage de voter contre le régime en place et surtout de défendre son vote, les nouveaux dirigeants qui ont désormais les pleins pouvoirs doivent aussi avoir le courage de mettre en œuvre les changements promis. Il ne doit pas s’agir des réformes de forme sur la démarche ou la méthodologie mais des réformes en profondeur touchant aussi bien la gestion de l’Etat, que des secteurs socio-économiques prioritaires.

Julien B BA
Analyste Politique
Marseille
Julienbba693hotmail.com

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